Derrière le buzz médiatique, quelles tendances longues ?
L’évolution des rapports de forces politiques en France
La médiatisation de la vie politique repose entre autres sur un effet de dramatisation de tout évènement pour capter l’attention, le "temps de cerveau disponible" comme disait un publicitaire. Et il faut en faire toujours plus pour maintenir l’intérêt ! Faisons donc attention à ne pas nous laisser entrainer dans la mousse médiatique en la prenant pour le réel. Ainsi des résultats des élections européennes...
Quand on nous dit que les 13% de EELV sont un évènement, on oublie souvent que ce parti avait réalisé 16% aux européennes de 2009 et 6% aux législatives suivantes...
Quand on nous dit que les jeunes ont voté à 25% EELV pour le climat, il faut dire aussi que le RN est deuxième à 15%, et surtout, ils n’ont voté qu’à 39% ce qui ramène la mobilisation des jeunes à 10% des inscrits... qui plus est très urbains et éduqués...
Et quand on évoque l’échec de la liste PCF, on oublie de dire que c’est mieux qu’à la dernière élection nationale où le PCF se présentait lui-même, les présidentielles de 2007 et 1,9% de M.G. Buffet.
Alors, peut-on prendre un peu de recul sur les résultats pour tenter de les remettre en perspective ?
Les tableaux ci-dessous représentent les résultats par grande famille politique depuis les législatives de 1993, dernières de l’ère Mitterrand. A cette époque, le FN s’est déjà installé dans le paysage politique, captant un vote populaire et notamment ouvrier. Le PCF dont la base militante reste solide, a déjà décroché justement du monde ouvrier. La gauche a déjà cessé de porter l’espoir de "changer la vie", bref, les grandes caractéristiques de notre situation politique après l’aventure du programme commun et de l’union de la gauche sont en place.
Les résultats des élections européennes sont mêlés aux élections législatives. Il me semble que ce sont les deux élections où les partis politiques sont le plus en avant. Ils sont regroupés en grandes familles :
– la gauche "radicale" [1], avec les communistes, la France insoumise et l’extrême-gauche
– le parti socialiste et ses alliés proches
– les écologistes
– le centre (du modem à macron)
– la droite classique
– l’extrême-droite
Le premier graphique montre ces résultats, et ajoute le cumul des voix de gauche et écologistes, comparé au cumul des voix du centre et de droite. Cependant les résultats semblent très dépendants de l’élection avec des hausses et des baisses. On ne voit pas bien visuellement s’il y a une "tendance" à cette échelle de presque 30 ans...
C’est pourquoi on peut chercher à représenter la tendance longue de chacun de ses résultats, par la droite qui se rapproche le mieux de chaque série de résultats. Le deuxième schéma présente ces "tendances" qu’il est simple de calculer [2]. Ces tendances ne montre qu’un aspect des résultats, s’il sont plutôt à la hausse ou plutôt à la baisse. On peut supposer que certains se sont inversés dans la période, et on peut le vérifier en utilisant non une "droite" pour représenter une tendance, mais une courbe, mais cela ne remet pas en cause la tendance longue que ce schéma montre.
On constate ainsi ce que nous savons d’expérience, il y a un déplacement important des votes vers la droite. Le total centre + droite + extrême-droite est en nette augmentation, de 5 points, avec un total centre + droite qui s’affaiblit, perdant un peu plus de 3 points, mais avec une extrême-droite qui en gagne un peu plus de 8 [3].
Mais le total gauche + verts baisse encore plus (-5 points) que la droite. Ce total gauche + verts est très hétérogène, puisqu’à l’intérieur le PS est en forte baisse de plus de 9 points, alors que la gauche radicale est stable, et que les écologistes gagnent 3 points... Voila une lecture du contexte des européennes de 2019 qui tranche un peu sur les réactions médiatiques immédiates... La "surprise" écologiste s’inscrit dans une tendance longue à la hausse, tendance mesurée, moins forte que la progression de la droite par exemple. Cela conduit le vote vert au niveau d’une gauche "radicale" qui est stable, ce qui dans le contexte de la crise profonde du capitalisme confirme le maintien de forces "radicales" de contestation du capitalisme. Insuffisant car sa crise nécessite de renforcer cette contestation, mais rassurant aussi car la guerre médiatique pour imposer l’idéologie dominante est terrible...
Au total, les plus fortes tendances sont l’affaiblissement du PS et la montée de l’extrême-droite. Si on cherche les éventuelles inflexions, on constatera que l’affaiblissement du PS commence au milieu de la période avec les présidentielles de 2007, même si Hollande a réussi un bon coup en 2012, et qu’à l’inverse, l’extrême-droite a au contraire un creux autour de 2007 avant de repartir fortement à la hausse ensuite.
Si on poursuit ces tendances, le piège du FN inventé par Mitterrand pour casser la droite et exploité à fonds par Macron pour récupérer la crise des gilets jaunes peut se retourner contre eux... Le RN sera au pouvoir avec la droite, comme dans d’autres pays, les verts auront remplacés le parti socialiste pour capter les craintes des couches moyennes dans un rapport de forces très défavorable au monde du travail.
Reste que la contestation du capitalisme existe et qu’il lui faut un parti communiste pour que le monde du travail retrouve sa force et inverse ce rapport de forces.