Coup d’état fasciste en Bolivie
La longue campagne du « Tout sauf Evo »
et message politique du MAS ce 11/11/2019
Bolivie : message politique du MAS (Mouvement pour le Socialisme) à tous les frères masistes
Aujourd’hui, 10 novembre, les humbles, les ouvriers, les peuples Aymara et les Quechuas, nous commençons la longue voie de la résistance, pour défendre les réalisations historiques du premier gouvernement autochtone qui se termine aujourd’hui, avec la démission forcée de notre président Evo Morales, produit d’un coup d’état civil/policier.
Laissez l’histoire témoigner de notre engagement à défendre le programme de nationalisations et d’industrialisation, nos entreprises publiques, nos politiques sociales et nos symboles patriotiques.
Aujourd’hui, les militants de la droite et les putschistes ont pris d’assaut le Wiphala et, avec lui, ont porté atteinte à notre dignité en tant que peuple autochtone. Nous ne nous agenouillerons pas, nous défendrons nos symboles constitutionnels constitués.
Dans les prochains jours, la chasse aux camarades se poursuivra. Et notre responsabilité est de prendre soin les uns des autres, de reconstruire le tissu social, de prendre soin des dirigeants persécutés et de les protéger. Aujourd’hui est le moment de la solidarité, et demain sera le moment de la réorganisation et du pas en avant dans la lutte qui ne se terminera pas avec ces tristes événements.
Le mot d’ordre est de résister aujourd’hui, pour combattre à nouveau demain. Notre action est de défendre les réalisations du plus grand gouvernement de l’histoire de la Bolivie.
La patrie ou la mort !
Le MAS fait l’histoire, la droite est la honte !!!
La longue campagne du « Tout sauf Evo »

Président aymara, paysan et syndicaliste, symbole d’une Bolivie nouvelle, appuyé depuis janvier 2006 sur une base « indigène et plébéienne » (pour reprendre les termes de son vice-président Álvaro García Linera), Evo Morales se représentait le 20 octobre pour un troisième mandat consécutif. Pour être élu au premier tour, tout candidat devait obtenir au moins 50 % des suffrages ou recueillir 40 % des voix avec une avance de 10 points sur le deuxième (article 167 de la Constitution), un second tour étant prévu le 15 décembre en cas de nécessité.
Dans une Amérique latine bousculée par une série de crises politiques et économiques parfois aiguës, le pays, de l’avis des observateurs de tous bords, se porte exceptionnellement bien. La nationalisation des ressources stratégiques [
1] et la redistribution des recettes de l’Etat ont permis une stabilité politique inédite (si l’on excepte quelques épisodes de tensions et de contestations) grâce à la mise en place de programmes d’accès au travail, à l’éducation et à la santé. Dans un contexte de croissance soutenue, le PIB a bondi de 9 milliards de dollars à plus de 40 milliards, les réserves de change se maintiennent à la hausse, l’inflation est maintenue sous contrôle, le salaire réel a augmenté et, de 59,9 % en 2005, le taux de pauvreté était descendu à 36,4 % fin 2017 (l’extrême pauvreté passant de 38 % à 15 %, soit une baisse de 23 points). On évitera le mot « miracle », beaucoup restant à faire, mais l’appréciation positive de tels résultats dans le pays considéré depuis des lustres comme « le plus pauvre d’Amérique latine » n’a rien d’une vue de l’esprit.
Malgré un tel bilan, cette dernière élection se présente sous un jour moins favorable que les précédentes, remportées haut la main par Morales au premier tour, avec une confortable majorité. Après treize années de pouvoir, la très classique « usure » a fait son apparition. Des pans de population sortis de la pauvreté ne s’identifient plus au Mouvement vers le socialisme (MAS) qui leur a permis une telle ascension ; pour des raisons inverses, tout en bas de l’échelle, ceux qui ont le moins progressé expriment leur déception ; d’une façon plus générale, à l’élan initial d’une « refondation plurinationale » mettant le pays cul par dessus tête se sont substitués des progrès désormais plus lents et, avec leurs inévitables scories, de moins enthousiasmantes « bureaucraties », « gouvernance » et « normalité ».
En soi, et s’il doit être pris en compte, ce nouveau panorama n’a rien de catastrophique pour la mouvance progressiste à la veille du scrutin, Evo Morales demeurant largement en tête de toutes les projections. Néanmoins, il apparaît tout aussi clairement qu’une victoire au premier tour est hautement souhaitable pour lui. Très divisée, la droite part perdante, mais serait susceptible, dans un éventuel second tour, malgré ses divergences et ses rivalités, de se regrouper autour d’un vote dur « Tout sauf Evo ».
Dans ce contexte, Morales affronte au tout premier chef le postulant conservateur le mieux placé dans son camp, à la tête de l’alliance Communauté citoyenne (CC), Carlos Mesa. Journaliste aisé, historien, ce candidat (centriste d’après L’Obs, de « centre droit », selon Courrier International !) a été vice-président de… l’ultralibéral Gonzalo Sánchez de Lozada – dit « Goni » – élu en 2002 après avoir battu « el Indio » Morales avec une différence minime, mais acceptée par ce dernier, de 1,41 % des voix [
2]. Chiens de garde de George W. Bush, Otto Reich (secrétaire d’Etat assistant pour l’hémisphère occidental) et Roger Noriega (ambassadeur devant l’Organisation des Etats américains [OEA]), avaient menacé d’imposer des sanctions à la Bolivie si « Evo » était élu.
Corruption, ouverture économique, privatisations, projet d’impôt nouveau sur les salaires, éradication forcée et brutale de la coca… Débordé après des semaines de manifestations et malgré une répression féroce se soldant par plus de 70 morts et des centaines de blessés, Sánchez de Lozada s’enfuit à Miami le 17 octobre 2003. Doté d’un certain sens de l’opportunité politique, le premier de ses collaborateurs, Mesa, lui succède, comme le lui permet la Constitution, plutôt que de démissionner. Il gouvernera jusqu’en mai 2005, chahuté par une contestation sociale permanente menée, entre autres, par Evo Morales, son principal opposant. Lequel, le 28 août suivant, mettant en échec et la droite et Washington, appuyé sur une base majoritairement indigène, mais aussi sur des secteurs urbains, les corporations, les coopératives, les retraités et des cohortes de métis professant un discours à l’accent « national », sera élu une première fois avec 53,74 % des voix.
Sans surprise, au soir du scrutin du 20 octobre dernier, les premiers résultats du comptage préliminaire du Tribunal suprême électoral (TSE) donnent le binôme Morales-García Linera (vice-président) en tête. Toutefois alors que 83 % des votes ont été comptabilisés, ce duo ne dispose toujours pas des 10 points de différence nécessaires à un succès immédiat (45,28 % - 38,16 %). Si Mesa et ses soutiens crient immédiatement victoire, dans la perspective d’un second tour inédit qu’ils annoncent absolument certain, le camp du chef de l’Etat sortant ne s’émeut pas pour autant. Les 17 % de votes encore non pris en compte correspondent aux zones paysannes et indigènes les plus lointaines, éparpillées et isolées, dépourvues d’Internet (pour l’envoi des PDF des procès verbaux) et de modernes voies de communication. Des espaces très majoritairement favorables à « Evo », dont ils constituent la base sociale et une importante réserve de voix.
Cet élément incontestable (car constaté lors des élections précédentes) aura été soit oublié soit gommé lorsque, le 21, après une nuit de silence de la page Web du TSE jugée « suspecte » voire « scélérate » par l’opposition, tombe le bilan quasiment définitif, mais déjà contesté : « Evo Morales l’emporte au premier tour ». Une information confirmée le 24 vers 18 heures, après dépouillement de 99,81 % des bulletins, lorsque le TSE indiquera que le chef de l’Etat socialiste bénéficie de 47,06 % des suffrages contre 36,52 % à Mesa [
3]. Un écart supérieur aux fameux 10 points de pourcentage et qui, portant sur plus de 600 000 voix, se révèle irrattrapable pour l’opposant.
Dès le lundi 21, Mesa a dénoncé « une fraude scandaleuse » et accusé le TSE d’être « une honte pour le pays ». L’appuyant implicitement, le chef de la délégation de l’OEA, l’ex-ministre des Affaires étrangères du Costa Rica, Manuel González Sanz, a de son côté critiqué l’interruption du comptage rapide intervenue dans la nuit du 20 au 21 et manifesté sa « profonde préoccupation et surprise pour le changement de tendance » constaté le lundi matin. Alors que, à l’appel de Mesa, se produisent les premières mobilisations et violences à Potosí, Oruro, Tarija et Chuquisaca, l’OEA va plus que vite en besogne : dès le mercredi 23, alors que le TSJ n’a pas encore rendu public le résultat définitif, la mission d’observation électorale de l’organisation interaméricaine estime que la « meilleure solution » serait de déclarer un ballottage entre les deux candidats. L’Union européenne fait encore plus fort en appelant le 24 à « mettre un terme au processus de dépouillement en cours » et à organiser directement un second tour « pour rétablir la confiance et s’assurer du respect du choix démocratique du peuple bolivien ». Les Etats-Unis et leurs comparses du Brésil, de l’Argentine et de la Colombie ne disent pas autre chose. L’Eglise catholique bolivienne abonde dans leur sens.
Il n’en faut pas plus pour que les professionnels de la plume, de la caméra et du micro se mettent de la partie. Dans le registre absurde, s’agissant de Radio France Internationale (RFI) qui titre le 22 avril, évoquant les injonctions de Fernando Camacho, président fascisant du Comité Pro-Santa-Cruz (la plus grande et plus riche ville du pays) : « Présidentielle en Bolivie : la société civile appelle à une grève de 24 heures [
4] ». Est-ce à dire que les 2 889 359 électeurs qui ont porté Evo Morales en tête du scrutin (contre 2 240 920 à Mesa) n’appartiennent pas à la dite « société civile » ? Peut-être s’agit-il d’extraterrestres ! A moins, bien entendu, qu’il ne s’agisse d’« Indios de mierda » – expression fréquemment employée par l’ « élite » raciste blanche de Sucre (la capitale) et Santa Cruz, et que nous traduirons pudiquement par « misérables Indiens »…
Chacun dans son style, de la presse conservatrice à la gauche « pensée conforme » (et en particulier Attac, pour ne citer avec accablement que cette organisation [
5]), une tendance se dégage – émergée en réalité depuis déjà de longs mois : Evo Morales se présente alors que les Boliviens lui ont dit « non » en 2016 à l’occasion d’un référendum portant sur la possibilité d’un troisième mandat consécutif, alors que la Constitution (article 168) n’en autorisait que deux ; il est donc, en s’ « accrochant au pouvoir », à la manière d’un « caudillo », pour ne pas dire d’un « dictateur en puissance », le responsable de la situation [
6].
Sauf bien sûr à rappeler dans quelles conditions a eu lieu, en 2016, le référendum en question.
Deux ans auparavant (le 12 octobre 2014), Morales avait été réélu avec 61,36 % des voix, son parti, le MAS, obtenant les deux tiers des sièges de l’Assemblée législative. Depuis, les forces conservatrices continentales étaient repassées à l’offensive. En témoignait la violente tentative de déstabilisation de Nicolás Maduro au Venezuela. En Bolivie, d’aucuns au sein du parti au pouvoir – « el oficialismo » – envisageaient l’avenir avec circonspection. De par sa personnalité, Evo Morales constitue le pivot central de l’archipel des mouvements sociaux.