Retour sur les législatives : les résultats cachés du 11 juin 2017
Par Aurélien Bernier
Les commentaires sur le premier tour des élections législatives du 11 juin se concentrent souvent sur les éléments les plus visibles du scrutin, à savoir le taux historique de l’abstention et la large victoire de la République en Marche du président Emmanuel Macron. Mais la comparaison historique nous livre d’autres enseignements, moins spectaculaires mais bien plus importants pour la suite.
Fin 2013, je réalisais pour mon livre La gauche radicale et ses tabous, paru en janvier 2014, le tableau ci-dessous, qui s’arrêtait évidemment aux scrutins de 2012. Je le reproduis ici, complété des résultats les plus récents.
L’expression des données en pourcentage des inscrits permet de comparer les évolutions du rapport de force entre la gauche radicale et le Front national et, au sein de la gauche radicale, de comparer le poids de chaque tendance.
Que disent ces chiffres ?
Premièrement, on observe depuis 2002 un phénomène très net de perte de voix entre la présidentielle et l’élection législative suivante, tant pour la gauche radicale que pour le Front national. En 2002, la gauche radicale passait de 9,55 % des inscrits en avril à 4,82 % en juin. En 2012, elle passait de 9,99 % à 4,44 %. En 2017, la chute se confirme, de 16,15 % à 6,91 %. Mais le Front national suit le même chemin : de 13,28 % à 7,69 % en 2002, de 13,95 % à 7,66 % en 2012, de 16,14 % à 6,43 % en 2017. Les mouvements « antisystème » percent à la présidentielle avant de reculer à l’élection législative, ne parvenant pas à mobiliser leur électorat, qui se replie en partie dans l’abstention.
Deuxièmement, le rapport de force entre le Front national et la gauche radicale s’est rééquilibré en 2017. Alors qu’il était d’environ 60/40 en 2012 et qu’il avait même bondi à 75/25 en 2014 pour l’élection européenne, il s’est établi à 50/50 en 2017, avec même une légère avance pour la gauche radicale. Ce résultat est suffisamment nouveau pour être souligné, car depuis 1988, le Front national dominait systématiquement la gauche radicale aux élections présidentielles et la plupart du temps également aux élections législatives.
Troisièmement, au sein de la gauche radicale, la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon rassemble 92 % des voix à la présidentielle d’avril 2017 et 76 % aux législatives de juin. Les trotskistes sont très faibles à cette présidentielle (1,32 % des inscrits) et totalement marginalisés aux législatives (0,37 %). Quant au Parti communiste français, il réalise le 11 juin le pire score de toute son histoire : 1,29 % des inscrits. C’est moins qu’en juin 2007 (2,54 % des inscrits) et encore en dessous du résultat de Marie-George Buffet à la présidentielle deux mois plus tôt (1,59 % des inscrits). Pourtant, c’est cette multiplication des candidatures qui permet au Front national de terminer second de l’élection d’avril et troisième de celle de juin, alors que son nombre de voix est dans les deux cas inférieur à celui réuni par la gauche radicale.
Ces éléments, nous devrons les garder à l’esprit lors des futures discussions sur l’avenir de la gauche radicale, qui ne pourront pas se limiter à enfoncer des portes ouvertes. Oui, il y a bien eu une offensive médiatique quasi-militaire pour soutenir et faire gagner Emmanuel Macron. Oui, les législatives de juin 2017 montrent à quel point les partis dominants et, plus globalement la classe politique, sont délégitimés. Et oui, la meilleure nouvelle de la séquence de 2017 est que le Front national n’est plus la principale force politique « antisystème ».
Mais nous devons aussi avoir conscience que le bon résultat de la France insoumise résulte quasi-exclusivement d’un transfert de voix du Parti socialiste vers elle. Le pari de mobiliser les abstentionnistes n’a pas été réussi. La tâche est évidemment très difficile, il n’y a aucune recette miracle pour y parvenir, mais une chose est certaine : le grand écart ne fonctionne pas. On ne peut pas à la fois rassurer des classes moyennes craignant les conséquences d’une rupture avec le système économique et redonner espoir à des classes populaires massacrées par la mondialisation. Pour la gauche radicale, le débat à tenir d’urgence ne porte pas sur la structuration d’un nouveau parti ou sur des questions d’alliances. Il est programmatique. Il est de choisir entre un programme de régulation néo-keynésienne qui rassure les classes moyennes et un véritable programme de démondialisation qui parlerait aux classes populaires. Un choix, d’ailleurs, que le Front national n’a pas lui non plus réussi à faire.
Aurélien Berbier
Article paru dans Marianne le 12 juin 2017
Aurélien Bernier est essayiste. Il a publié plusieurs ouvrages dont La gauche radicale et ses tabous : pourquoi le Front de gauche échoue face au Front national (Seuil, 2014) et plus récemment La démondialisation ou le chaos (Utopia, octobre 2016).