Sur la révolution qui vient ?
Dans son film « Sorry, we missed you » [1], Ken Loach s’attaque à l’ubérisation de la société : phénomène nouveau, l’ultralibéralisme attire des travailleurs avec ce statut d’auto-entrepreneur : être son propre patron, le rêve ! Ricky le père de famille, se fait piéger, il sacrifie sa famille : la voiture de sa femme (aide à domicile pour personnes âgées) vendue pour payer le camion de livraison des colis. Pas de contrat de travail, pas de salaire, pas de congés, pas de couverture contre les accidents du travail. Rendement, rendement, avec des tournées sans fin… Être remplacé pour répondre à la convocation des enseignants du fils qui, perturbé par les absences trop longues de ses parents, fait des c… ? Aucune solidarité entre les travailleurs, au contraire, ils se battent entre eux, le capitalisme c’est la guerre de tous contre tous. Ce film montre la destruction de la famille, avec ce père enchaîné à son camion, fliqué par l’appareil qu’il a dû acheter, espion qui lui dicte ses trajets, chronomètre ses tournées. Pas même le temps d’uriner !!
Ce film de Ken loach est une réussite : il montre le caractère inhumain de cette ubérisation, qui érige la fin du salariat comme nouvelle norme de travail. Mais la fin du film n’ouvre aucune perspective ! Ricky, blessé, remonte dans son camion et repart pour une tournée sans fin ??
Cette fin de film, je l’ai vécue comme une souffrance : Mais enfin, n’y a-t-aucun espoir pour ces exploités de sortir de leur enfer ?
« Joker » autre film. Plus violent, ce film a été encensé par la critique mais a sucité la polémique ensuite, car trop violent. Je n’ai pas été choquée par la violence parce qu’elle est tournée en dérision, le violent est un pauvre déclassé, handicapé qui est poussé un peu malgré lui à la violence. Attaqué par une bande de voyous qui lui volent sa pancarte de clown, la révolte monte en lui. Sa vengeance coïncide avec la révolte de toute la ville, paralysée par une grève des éboueurs. La ville est corrompue, ses dirigeants impliqués dans des trafics, la colère de Joker est soutenue par tous les citoyens !
On pense au suicide de Mohamed Bouazizi, en Tunisie, qui a provoqué, en s’immolant par le feu, ce que l’on a appelé « le printemps arabe ». C’est un peu la même injustice, il n’est pas en règle par manque d’argent, et on l’empêche de gagner sa vie avec son travail !
Dans Joker, c’est cette agression violente qui suscite une vengeance individuelle meurtrière, et toute la ville approuve presque le meurtrier, c’est une véritable émeute, d’une violence inouïe !
Je pense que ces films ont des résonances avec notre présent.
Mais nous ne pouvons accepter la résignation des ouvriers ubérisés, et la révolte de Joker ? Si elle embrase la ville de Gotham City [2], elle ne change rien. Elle n’a pas pour la soutenir les politiques, les mouvements syndicaux qui pourraient la canaliser, l’organiser, elle n’a pas le but final : supprimer le capitalisme !
Joker sera gracié mais il sera enfermé en psychiatrie : « Le monde continue de tourner ! » s’exclame-t-il.
Je lis le livre de notre amie Danielle Bleitrach, qui me passionne. Elle écrit, à la fin de cet ouvrage : « Ma conviction est que jamais il n’y aura de changement révolutionnaire sans violence… parce que jamais le capital et la bourgeoisie ne lâcheront le pouvoir sans avoir détruit un maximum de tout ce qui est vivant autour d’eux ».
Elle dit aussi : « Là où il y a une volonté, il y a un chemin ».
Il nous faut susciter, forcer la volonté et ensuite montrer le chemin ?
Mireille Popelin