Un autre FMI est-il possible ?
Source Rouge-Midi
Ainsi donc selon Hollande et Aubry, Christine Lagarde ferait une bonne directrice du FMI [1] : dans ces conditions on ne comprend pas pourquoi les pays émergents sont hostiles à une candidature soutenue par celle qui, il y a peu, manifestait au forum social de Dakar…
Une institution qui nous veut du bien…
Créé en 1944 lors de la conférence de Bretton Woods, le FMI est une institution regroupant 187 pays, dont le rôle est de « promouvoir la coopération monétaire internationale, de garantir la stabilité financière, de faciliter les échanges internationaux, de contribuer à un niveau élevé d’emploi, à la stabilité économique et de faire reculer la pauvreté » [2]. Tout un programme !!
L’objectif initial
En fait l’objectif initial correspondait à la volonté des USA d’instaurer un nouvel ordre monétaire et financier international avec pour les échanges internationaux, une référence commune, l’or. Cela dura jusqu’à la fin des années 70, quand les USA ayant fait tellement fonctionner leur planche à billets pour financer en particulier leurs guerres impérialistes, que leur monnaie s’était considérablement dégradée. Ils imposèrent alors au reste du monde (sauf les pays socialistes de l’époque) la fin de ce système et le dollar comme nouvelle référence mondiale…
La deuxième ère
Commence alors une nouvelle ère pour le FMI qui s’oriente à partir des années 80 vers « l’aide aux pays en difficulté » (sic !), aide qui prend la forme de prêts à condition que les pays qui les sollicitent fassent la politique que le FMI leur dicte...
Les peuples des pays concernés, américains du sud et africains hier, tunisiens, grecs et islandais aujourd’hui, disent avec force ce qu’ils pensent de l’efficacité du FMI. Partout dans le monde ces plans d’aide, les tristement célèbres « plans d’ajustement structurels », sont dénoncés pour les conséquences qu’ils ont : privatisations, montée du chômage et de la pauvreté, exactement l’inverse des buts annoncés.
Même sur les objectifs « macroéconomiques » – objectifs avancés par le FMI pour justifier ses choix – l’efficacité de l’institution est remise en cause. Ainsi un récent rapport du Bureau indépendant d’évaluation du FMI (BIE) [3] concernant la période (2004-2007) a montré que le FMI n’a rien vu venir de la crise internationale. Le « message constamment répété fut celui d’un optimisme permanent », « qu’une crise majeure dans les grands pays industriels était peu probable » et même au début de la crise le « message du FMI... présentait un contexte économique international favorable ».
Le BIE pointe dans ses conclusions :
– des méthodes d’analyse incomplètes et un « degré élevé de pensée doctrinaire ».
– l’opinion dominante que « l’autorégulation des marchés suffirait à écarter tout problème majeur des institutions financières ».
– le lien insuffisant entre l’analyse macroéconomique et celle du secteur financier.
– les lacunes de la gouvernance interne.
Excusez du peu
…qui fait consensus parait-il…
Quand le BIE parle du « degré élevé de pensée doctrinaire », il fait allusion au si mal nommé « consensus de Washington », ensemble de mesures économiques préconisées pour « aider » en particulier les pays d’Amérique du Sud confrontés à une dette faussement appelée dette publique.
Ce consensus qui n’en a jamais été un, a été théorisé en 1989 par un certain John Williamson qui préconisait, pour en finir avec les dettes nationales, 10 mesures [4] parmi lesquelles les privatisations, la déréglementation des marchés et les réductions de services publics supposés pléthoriques et corrompus… en un mot, fini l’État régulateur, place à la liberté des « marchés », autrement dit celle des capitalistes !
Évidemment ces mesures n’ont jamais fait consensus et un économiste comme Joseph Stiglitz, pourtant prix Nobel d’économie et donc pas nécessairement marxiste, les a même dénoncées dans un livre [5].
La 3ème ère
Aujourd’hui, et c’est la 3ème ère du FMI, ces mesures ayant prouvé leur nocivité sociale et leur inefficacité économique, les théoriciens essaient de les pondérer en faisant appel à plus d’État [6], admettent que la libre circulation des capitaux met en danger l’économie et peut être taxée, approuvent même parfois des hausse de budgets sociaux… mais fondamentalement la doctrine n’a pas changé : la Hongrie qui a du supprimer le 13ème mois des fonctionnaires, l’Ukraine qui a été sommée de reculer l’âge de la retraite, la Grèce, l’Irlande et maintenant le Portugal en font l’expérience [7].
En Grèce l’accord FMI/gouvernement s’est même fait en dépit du vote du parlement qui s’y était opposé !! Qu’importe cette instance supranationale n’a que faire de la souveraineté des peuples ! Et après on veut donner des leçons de démocratie aux pays arabes ?...
Pour quel bilan ? Ceux qui se pensent les maitres du monde [8] n’ont ni réduit les inégalités [9] ni bien sûr fait reculer le chômage et la pauvreté.
Plus de 80 pays ont un revenu par tête inférieur à ce qu’il était il y a dix ans [10].
Le FMI non seulement n’a rien réglé mais de plus il reste une arme contre les peuples grâce en particulier à son fonctionnement.
…et au fonctionnement bien particulier
Le FMI est gouverné par ses 187 pays membres. Contrairement à l’ONU les décisions ne sont pas prises selon le principe un pays/une voix, ou un autre principe qui aurait pu être un calcul des voix en fonction du nombre d’habitants, mais selon une règle très particulière édictée à l’origine par les États-Unis et les autres pays fondateurs et qui n’a guère évolué depuis.
Le calcul des voix de chaque pays est déterminé selon son poids estimé dans l’économie mondiale. Plus ce poids est estimé important, plus la contribution financière est élevée et plus le nombre de voix est important. Système qui avantage évidemment les pays riches Europe et États-Unis et bafoue les souverainetés nationales et qui en plus est verrouillé.
Au cas où un nouveau pays deviendrait riche il ne peut de lui-même augmenter sa cotisation et donc son nombre de voix, c’est la direction actuelle qui décide. C’est l’exemple de la Chine qui, disposant de plus de 2 200 milliards de dollars de réserves de change, voudrait bien avoir plus de poids au FMI. Mais le système imaginé, au sortir de la seconde guerre mondiale, par les pays industrialisés qui y disposent de la majorité des voix alors qu’ils représentent moins de 20 % de la population mondiale est un système à leur service et qu’ils veulent maintenir tel quel.
En fait compte tenu des modalités de prise de décision au sein du FMI, qui supposent une majorité qualifiée correspondant à 85 % des droits de vote, à 15% des voix un pays dispose d’un droit de véto. Seuls les États-Unis (17,6% des voix) ou l’Union européenne (24,7% des voix pour seulement 7 pays, 32,1% pour les 27 !) en disposent.
Le CADTM [11] a fait une carte qui illustre cela :

Sur cette carte, la surface des pays a été modifiée afin de refléter le poids dont chacun dispose en termes de droits de vote au sein du FMI. Comme le fait remarquer le CADTM, « la Belgique (10 millions d’habitants) occupe une surface supérieure à celle de pays comme le Brésil (qui a pourtant une population 18 fois plus importante et un territoire 279 fois plus étendu), le Mexique, l’Indonésie ou la République démocratique du Congo (6 fois plus d’habitants que la Belgique et un territoire 77 fois plus étendu). L’Afrique subsaharienne occupe une place égale à la France alors qu’elle compte 10 fois plus d’habitants. L’Afrique au Sud du Sahara ne dispose que de deux membres au sein du Conseil d’administration du FMI et ces deux membres doivent exprimer le point de vue de 48 pays. La France dispose à elle seule d’un administrateur. Les pays de l’Union européenne ont 8 représentants au sein du Conseil d’administration sur un total de 24 membres, soit un tiers d’entre eux. Vous imaginez la difficulté des 48 pays africains à se faire entendre si seuls 2 administrateurs les représentent. Le FMI est parfaitement verrouillé par les pays européens et nord-américains. L’Afrique a demandé que l’on porte de 24 à 26 le nombre d’administrateurs afin de dégager deux sièges supplémentaires en sa faveur. Ils se sont heurtés à un refus net des États-Unis ».
Et ne parlons pas de la Chine et l’Inde qui n’ont que 6,43% des voix (et encore après la dernière réévaluation) alors que ces deux pays représentent 2,6 milliards d’habitants soit 37% de la population mondiale !!
Alors que faire face au FMI ?
Dans la jungle mondiale les pays qui s’en sortent le mieux sont ceux qui, soit n’ont jamais fait appel au FMI, soit se sont dégagés de sa tutelle, mais dans les deux cas ce sont des choix nationaux qui ont permis une progression sociale.
L’Argentine, a rééchelonné unilatéralement la dette avec les créanciers privés, tout en escamotant 75 % de celle-ci puis a finalement décidé en 2005 le remboursement total de sa dette de façon anticipée, afin d’éviter l’étranglement de son économie par les intérêts, ce qui a fait dire à son président « L’Argentine commence à construire son indépendance » [12].
Le Népal doit sa spectaculaire progression à l’indice de développement humain [13], non à l’intervention du FMI, mais à l’abolition de la monarchie et à l’instauration d’un régime qui vise la propriété collective et un autre partage des richesses. Cuba s’est retiré du FMI en 1964 et Chavez a menacé en 2007 de faire pareil.
En France, le PCF propose au Front de gauche d’inscrire dans son programme l’intention généreuse ci-après : « nous prendrons des initiatives pour mettre fin à la domination des États-Unis sur le FMI ». En faisant quoi ? En leur demandant gentiment ? Le NPA propose quant à lui « Le remplacement du FMI par un organisme démocratique mondial chargé de la stabilité des monnaies et de la lutte contre la spéculation financière », en quoi faisant ? En convaincant patiemment nos « partenaires européens » ? Pensez-vous que ces deux propositions peuvent paraître crédibles au peuple de France ?
Comment des forces qui disent vouloir en finir avec le capitalisme ne peuvent-elles pas envisager d’avenir en dehors de ces institutions ? Rien n’oblige le bateau France à rester amarré à ces institutions capitalistes !!
A force de tout poser en termes internationaux ou à travers le prisme de l’UE au point de ne plus entrevoir de solution en dehors d’elles, les forces qui se réclament du changement de société se condamnent à l’impuissance et au manque de crédibilité.
S’affronter au FMI suppose des choix et des combats accessibles au peuple concerné. Les pays d’Amérique du sud qui étaient en opposition avec l’empire n’ont pas essayé de réformer une ALCA et une ALENA où les États-Unis étaient tout puissants, mais ont au contraire créé l’ALBA et la banque du sud.
Une proposition et un combat crédibles serait que celles et ceux qui proclament vouloir changer de société affirment qu’une fois élus, ils quitteront le FMI, la banque mondiale et l’UE, toutes structures suceuses de sang des peuples et s’attacheront à construire avec les nations qui le désirent d’autres relations internationales basées non sur le libre échange mais sur la coopération mutuelle.
Les 2,46997 milliards d’euros de cotisation annuelle que la France verse actuellement au FMI pourraient dans cette optique être bien mieux utilisés !
Charles Hoareau, Rouges-Vifs 13
Source Rouge-Midi